Identité visuelle, parle-t-on que d'esthétique ?

Dans sa forme moderne l’identité visuelle est née d’un besoin de se différencier des entreprises concurrentes dans le contexte d’une nouvelle économie de marché

Identité visuelle, parle-t-on que d'esthétique ?

Dans sa forme moderne, l’identité visuelle est née d’un besoin de se différencier des entreprises concurrentes émergentes dans le contexte d’une nouvelle économie de marché, conséquente à la seconde révolution industrielle.

En 1907, AEG (entreprise allemande) fut une des première à mettre en place sous la direction du graphiste Peter Behrens, un modèle qui deviendrait ce qu’on appelle aujourd’hui l’« identité visuelle ». Peter Behrens (architecte, peintre, graveur, designer et typographe allemand) pensa un système graphique complet qui s’appliquerait aussi bien à l’organisation qu’à son architecture et à un grand nombre de ses produits industriels et de grande consommation. Pour la première fois, l’utilisation uniforme du design graphique conféra à une entreprise une image homogène. Ce système posa les jalons de l’avenir de l’identité visuelle et de la stratégie de marque.

Dans le livre “ Seven Designers Look at Trademark Design” - 1952 - Egbert Jacobson écrivait : « Une application uniforme donne une impression générale cohérente de la personnalité d’une société, impression qui avait des effets non seulement sur le public, mais également sur l’image que le fabricant avait de lui-même.

Eliot Noyes, (consultant en graphisme, architecte et ancien conservateur du design industriel au MoMA de New York) avait mis en place pour IBM - en collaboration avec les plus grands talents créatifs de l’époque - un système graphique unique qui engloberait l’ensemble des produits IBM, et jusqu’aux bâtiments, logos et supports publicitaires de l’entreprise, il expliquait : « En un sens, une entreprise devrait être comme un bon tableau ; tout ce qui se voit devrait contribuer à véhiculer le message d’ensemble voulu ; rien de ce qui se voit ne devrait contrarier cet objectif », Noyes poursuivait, « Il semble en effet qu’un des rôles du graphiste soit d’aider à définir cette identité, puis de l’exprimer en faisant valoir les objectifs les plus importants et les idées les plus hautes de l’entreprise, et ce dans le contexte plus large de notre société et de notre économie.

Un article intitulé « 4 Principles by Paul Rand that may surprise you» écrit par le spécialiste du graphisme Alex Bigman accompagnés de citations de Rand, proposent, à l’attention des graphistes, des conseils illustrés sur la façon de créer des systèmes d’identité visuelle :

1. « Un logo tire sa signification de la qualité de ce qu’il symbolise, non l’inverse ». « Seul le fait d’être associé à un produit, un service, une activité ou une société confère à un logo une signification réelle. Celui-ci tire sa signification et son utilité de la qualité de ce qu’il symbolise. Si une entreprise est médiocre, le logo finira par être perçu comme médiocre. Il est imprudent de croire qu’un logo remplira sa fonction d’emblée, avant que le public ait été mis dans les bonnes conditions. »

2. « La seule chose obligatoire dans le design d’un logo est son caractère distinctif, mémorisable et clair. » « À la surprise de beaucoup, le sujet d’un logo est d’une importance relativement mineure, et même le caractère adéquat de son contenu ne joue pas toujours un si grand rôle. Non que ce caractère soit indésirable. Simplement, une relation directe entre un symbole et ce qu’il symbolise est très souvent impossible à réaliser, et peut même, dans certains cas, s’avérer néfaste. Finalement, la seule chose obligatoire dans le design d’un logo est son caractère distinctif, mémorisable et clair. »

3. Tout est dans la présentation. « Comment présenter une nouvelle idée est, peut-être, l’une des tâches les plus difficiles du graphiste. Tout ce que fait un graphiste implique une présentation d’un type ou d’un autre — non seulement comment expliquer (présenter) un graphisme particulier à l’auditeur intéressé (client, lecteur, spectateur), mais comment ce graphisme peut s’expliquer lui-même sur le marché… »

4. « La simplicité n’est pas l’objectif. C’est le produit dérivé d’une bonne idée et d’attentes modestes. »

Les historiens du graphisme essaient souvent de comprendre à quoi tient la longévité de certaines identités. Le très célèbre graphiste et designer italien Massimo Vignelli explique dans son livre (The Vignelli Canon, Baden, Lars Müller, 2010) il écrivait : « Nous sommes, pour un graphisme qui dure, qui réponde à ce dont les gens ont besoin et non à ce qu’ils veulent. Nous sommes pour un graphisme engagé envers une société qui en appelle à des valeurs durables, une société à qui l’on doit des produits de qualité, et qui mérite respect et intégrité. Nous aimons l’utilisation de formes primaires et de couleurs primaires, parce que leurs valeurs formelles sont intemporelles. Nous aimons l’économie de moyens en graphisme parce qu’elle permet d’éviter des opérations inefficaces, respecte l’investissement et dure plus longtemps. Nous aspirons à un graphisme centré sur le message plutôt que sur les stimuli visuels. Nous aimons que le graphisme soit clair, simple et durable. Tel est le sens du graphisme intemporel.

En tenant compte de ce critère exigeant, on peut revenir sur les identités visuelles créées depuis un siècle et se demander, quels logos ont tenu le coup ? Le logo de Vignelli pour American Airlines a été utilisé pendant quarante ans. « L’oeil » de CBS est en vigueur depuis 1951, les logos d’IBM, International Paper, Ford, KLM, la Croix Rouge, Coca-Cola, Lufthansa, Mobil, les Chemins de fer nationaux canadiens, Shell. Ces quelques logos triés sur le volet ont accédé au statut d’icônes intemporelles grâce à leur construction formelle, leur fonctionnalisme, leur longévité et au lien très fort qui les unit à leur propriétaires.

Contrairement aux solutions temporelles et éphémères mettant l’accent sur un « style » potentiellement fluctuant, Vignelli recommandait que l’innovation en graphisme soit durable et non limitée en termes de forme et de concept. La solution devrait être considérée comme un processus à long terme prenant en compte, dès le départ, l’élaboration systématique à venir. Aucune solution d’identité visuelle ne devrait être envisagée comme une fin en soi, mais devrait être structurée de façon conceptuelle et formelle afin de pouvoir évoluer indéfiniment en fonction des besoins. Cela doit constituer une dimension essentielle du développement dès le début. Il se pourrait bien, dans le monde virtuel dans lequel nous vivons, que les graphistes aient tout à gagner à prendre en considération ce processus exprimé par Vignelli.

Une identité visuelle, n’est donc pas un produit esthétique qui attire la cible par sa beauté et son élégance, la question de l’esthétique n’est jamais directement abordé puisqu'elle l’identité visuelle émerge d’une réflexion fondée à partir de l’identité de marque. C’est ce qui va représenter et véhiculer au mieux les valeurs et les croyances d’une entreprise.

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